Au cœur des paisibles paysages de la Chartreuse, en ce XIXe siècle marqué par de profondes mutations sociales et économiques, un terrible drame familial vient briser la quiétude d’un hameau. L’affaire JACQUIN, qui culmine dans un bain de sang à la Palud en juin 1884, n’est pas qu’un simple fait divers. C’est le récit d’une lente et inexorable descente aux enfers, où les murs d’une maison deviennent le théâtre d’une haine destructrice, menant un homme à commettre l’irréparable. Retour sur le crime de Chapareillan qui a durablement marqué les mémoires de l’Isère.
Les premières années
Joseph François JACQUIN voit le jour le 8 septembre 1849 au hameau de la Palud, à Chapareillan. Ses parents, François JACQUIN et Sophie DRILLAT, âgés respectivement de trente-cinq et vingt-et-un ans, sont agriculteurs.
Joseph est le premier enfant du couple mais le deuxième de François, qui a perdu sa première épouse à la naissance de leur fils, prénommé François comme son père.
Huit autres enfants suivent, dont deux meurent précocement.
À dix-sept ans, Joseph apprend le métier de galochier1 avec M. THEVENON de la Palud. Il travaille avec lui jusqu’à son service militaire. Sa mère lui prend pratiquement tout son argent, se plaignant qu’il n’en ramène pas assez.
Puis les aînés quittent progressivement la maison. François se marie le premier, suivi de Céline et Marie.
Le jeune homme est au service militaire lorsque son frère Séraphin Jules décède à l’âge de treize ans.
Un nouveau foyer
De retour au pays après son service militaire, Joseph cherche la chaleur d’un foyer bien à lui. En 1875, il épouse Nicole JACQUELIN, originaire de la Savoie voisine. Son père leur offre en avancement d’hoirie deux pièces de la maison familiale, un geste complété par quelques arpents de vigne.
Deux ans plus tard, la naissance de leur fille, Françoise Joséphine, illumine l’existence de Joseph et Nicole.
Joseph fait de nombreux travaux dans le logement et s’endette. Pour pourvoir aux besoins de sa famille, il travaille à l’extérieur du hameau dix mois de l’année. Il se met au service de plusieurs patrons, qui l’accueillent chacun entre quinze jours et trois mois chaque année, en fonction du travail qu’ils ont à lui confier. Il écrit souvent à son épouse pendant ses absences, lui envoyant l’argent qu’il gagne.
Puis le deuil frappe à nouveau en 1880, emportant son frère Jean Léonard à l’âge de vingt-quatre ans.
L’année suivante, le mariage de sa sœur Clémentine laisse le benjamin, André, seul au foyer parental.
Une cohabitation difficile
Joseph et Nicole vivent toujours sous le même toit que les parents. La maison est séparée en deux par un corridor, qui aboutit aux portes de leurs habitations respectives. La porte du logement de Joseph fait face à celle de ses parents.
L’entente est loin d’être cordiale entre les deux ménages. Sophie DRILLAT en particulier accuse journellement son fils de vol d’outils, de marchandises…. Elle n’est pas en reste avec sa belle-fille, à qui elle fait une réputation de femme de mauvaise vie.
Des bruits parviennent même aux oreilles de Joseph : ses parents veulent favoriser André dans leur héritage.
10 juin 1884 : le point de rupture
Le 10 juin 1884, dès l’aube, les reproches de Sophie percent le silence matinal. Victorin GUIFFREY, un voisin, l’entend traiter son fils de fainéant et de voleur. La dispute dure près de deux heures.
En fin de matinée, Joseph DRILLAT, charron, effectue de menus travaux chez les parents. Il est témoin d’une nouvelle scène. Sophie réclame quinze francs à Joseph, qu’il refuse de lui rendre. L’altercation s’envenime et Sophie menace son fils avec un manche à balai. Furieux, Joseph lui intime de ne pas le frapper, sinon il se servira de la hache qu’il tient à la main.
Les parents reportent ensuite leur agressivité sur Nicole, qui rentre chez elle en pleurs. Toute la journée, les parents harcèlent Joseph à cause de sa menace, et d’un vol de feuilles mortes dont sa mère l’accuse, lui parlant gendarmes, prison et justice.
Vers sept heures du soir, la femme de Joseph fait paître sa vache dans les pâturages communaux, à deux kilomètres du village. La petite Françoise Joséphine est à l’école.
André revient des bois. Dès son retour à la maison, sa mère lui ordonne de se préparer pour aller chercher la gendarmerie pour faire mettre son frère en prison.
L'irréparable
La fureur aveugle alors Joseph. Armé de sa hache, il se précipite dans la cuisine de ses parents. Sans un instant d’hésitation, il frappe sa mère qui s’écroule sans un cri.
Son frère André, occupé à nettoyer ses souliers, pare le premier coup mais la lame impitoyable s’abat à nouveau.
Inconscient du drame qui vient de se jouer, le père entend Joseph sortir de la maison et lui lance : « Tu vas pourrir aux galères ! ». Dans l’esprit de Joseph, une pensée terrible germe : « Autant aller jusqu’au bout ». Il pénètre alors dans la grange, monte l’échelle qui mène au grenier, où son père est occupé à ranger des fagots. Un coup terrible s’abat au-dessus de son œil droit, lui ouvrant le crâne. François s’effondre.
Joseph rentre ensuite chez lui, nettoie sa hache dans une toile d’emballage et change de vêtements. Il prend quelques mouchoirs, des bonnets de nuit et un peu d’argent, puis verrouille toutes les portes.
Il se rend d’abord chez son oncle Pierre DRILLAT, à qui il livre le récit de son crime, lui demandant de prendre soin de sa femme et de sa fille.
Joseph veut ensuite avouer son crime à Frédéric GUIFFRAY, conseiller municipal. Ce dernier est absent et Joseph va déposer ses clefs chez la veuve PAQUET. Il lui raconte, comme à toutes les personnes qu’il croise ensuite, ce qu’il vient de faire. Pendant ce temps, Joseph DRILLAT, André et Joseph PAQUET courent prévenir les gendarmes.
L'arrivée des gendarmes
Le brigadier Joseph PEGAZ-BLANC et ses hommes convergent vers la Palud, informant en chemin le maire qui fait mander le Docteur BRAVET.
À leur arrivée, Joseph se livre sans opposer la moindre résistance.
Ils pénètrent ensuite dans la maison, où une scène d’horreur les attend. Ils entreprennent les premières constatations, puis interrogent Joseph sur les raisons de ce carnage.
Les villageois sont tous d’accord pour dire que Joseph et sa femme sont honnêtes et laborieux, et que Sophie DRILLAT était pleine de haine pour son fils qu’elle injuriait continuellement.
Un télégramme est adressé dans la nuit au procureur de la République.
Que va t-il advenir de Joseph ? Pour le savoir, rendez-vous lundi 9 juin pour la deuxième partie de cet article.
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